Perso je pense que la notoriété albeau s'en cogne maintenant, il a tout gagné. Un peu comme ma tante Lorella.
Lorella, à la voir comme ça... on ne la croirait pas si égoïste...
Mais il faut se faire un complet aperçu de la situation. De sa situation. Elle est si jeune, Lorella. Ce n'est pas simple d'être jeune. Surtout pour Lorella dont l'existence a toujours été moins simple que beaucoup d'autres.
C'est d'une façon vachement abrupte qu'elle balance au vieux ce qu'elle a à lui dire, à l'heure du petit déjeuner.
A-t-on idée de les cueillir au saut du lit, les petits vieux dont le palpitant aurait besoin d'être déposé et ramené à l'atelier pour une sacrée révision.
Elle me l'aurait pas dit que jamais j'aurais cru ça possible de sa part à Lorella...
Bon, elle a quand même pour se montrer garce la toute meilleure des raisons. Plus personne alors ne peut lui en vouloir. Même pas moi, le père Alphonse.
Elle a contracté, Lorella, et ça fait maintenant un bon moment, la plus féroce des maladies.
La mouflette est tombée raide dingue d'un beau gosse qui ne l'aime pas. Il s'agit d'une pathologie somme toute courante contre laquelle la science baisse un peu les bras.
Pourtant des fois mortelle après de longues et atroces souffrances, cette peste-là...
Cependant peut-on demander à une jeune rockeuse aux cheveux mauves de déjà se ranger des voitures... Ni sa carrière ni sa vie, quoiqu'elle en pense, elle qui joue les blasées et se vante de tout connaître, n'ont encore commencé.
Ca a beau être chez moi relativement confortable ; la vérité oblige à dire que ça pue la naphtaline.
C'est plus une image que la réalité ; une certaine gêne, une oppression, qu'elle éprouve à l'occasion, Lorella.
La plupart des filles ont sûrement une vocation d'infirmière, mais la déglingue à ce point-là, ça peut flanquer la trouille aux plus dévouées.
Le père Alphonse a depuis si longtemps reçu cette homologation de chef-d'oeuvre en péril qu'il est carrément en ruine à l'heure qu'il est !
Si l'on veut en faire un inventaire exact, y'a même plus grand-chose à visiter. Ce n'est plus "Suivez le guide, m'sieurs dames..." C'est plutôt : "Faites surtout gaffe de pas louper une marche. L'escalier est glissant et en pente raide vers l'abîme !"
Douce comme tout, Lorella, et serviable en plus. Parfois tout de même, elle se demande si une déchéance vécue en direct et jusque dans ses moindres culbutes et humiliations, c'est bien un spectacle à montrer aux enfants.
Elle se sait toute petite, Lorella, face à la grande vieillesse.
Ce n'est pas toujours sans problème, notre improbable cohabitation à Lorella et moi. Mais c'est la vie !
Ses changements d'humeur à la gamine, sa façon de perdre devant la télévision un temps infini dont elle ignore combien il est précieux, le temps de sa jeunesse fugace qu'elle ne retrouvera jamais.
Le boucan qu'elle fait au plus mauvais moment. Son silence aussi alors que le père Alphonse guette chaque battement de son coeur par les ans cramé, anxieux pour un oui ou pour un non, et que j'aimerais justement être entouré de davantage de bruit...
Les vieux ne sont jamais contents. Tout de suite elle l'a pigé, la nymphette, et pas qu'à moitié !
Les vieux pètent et font un tas de bruits bizarres. C'est en somme une antique tuyauterie en fonctionnement qu'un vieillard. Tout un réseau plus du tout homologué qui ne demande qu'à se rompre ou à se boucher.
Le croulant a des fuites, c'est entendu.
Le croulant en revanche est plutôt hermétique au niveau du porte-monnaie. Le croulant tient serré les cordons de sa bourse comme s'il était acquis qu'il allait dépasser le siècle d'existence et de beaucoup. Le croulant économise comme s'il tenait à nourrir les prochaines générations futures.
Des heurts et des tensions, c'est rien de le dire qu'on en connaît, Lorella et votre serviteur. Pas à vraiment s'engueuler, non. Mais de bien tranchantes remarques ou des bougonnements divers.
Bien évidemment que ça me fortifie cet âpre contact, l'insolence est toujours bonne à prendre. Je suis assez futé pour m'apercevoir que je commence à me nourrir de la jeunesse de cette innocente. Comme la nature est bien faite, je ne suis pas assez critique envers moi-même pour que ça me pèse sur la conscience !
Quand on a autant de décennies que moi à porter, aucune aide n'est superflue.
En ce qui concerne Lorella, je suppose qu'elle ressent à peu près la même chose que son chat. La voici à l'abri d'un monde hostile. Mieux que ça, adoptée.
Mais bon, elle est plus très jeune maitenant
